Transfert des apprentissages de l’entraînement au match

  • Post Author:
  • Post Category:Formation

Le transfert est la capacité à reproduire quelque chose à l’identique dans des conditions différentes. On constate souvent qu’il y a un fossé entre la qualité de ce qui est produit (individuellement ou collectivement) à l’entraînement et en match. Pour tenter de comprendre ce phénomène, il faut d’abord faire l’inventaire des éléments constituant ces deux conditions, et les comparer pour identifier les divergences qui peuvent contrarier la pratique qualitative des joueurs.

  • INTRODUCTION :

1) Le contexte de l’entraînement

Les séances étant hebdomadaires, les joueurs sont habitués à retrouver les mêmes personnes (coéquipiers, entraîneurs, parents…) dans un gymnase qui est souvent le même, et viennent à l’entraînement pour apprendre, ou consolider leurs savoirs-faire. Le silence règne dans les gradins pour faciliter la transmission des consignes et leur assimilation.

2 ) Le contexte du match en compétition

Lors du match hebdomadaire, les joueurs se rassemblent pour se mesurer à un autre collectif, et identifier celui qui est le plus performant. L’enjeu perçu est alors compétitif, chacun s’expose au regard des autres, l’ambiance du gymnase peut parfois être très bruyante. Cela est d’autant plus vrai lorsqu’on joue en terre adverse et qu’on ne connaît ni le lieu, ni les supporters.

Le tableau ci-dessous synthétise et compare ces contextes.

Entraînement Match

Enjeu compétitif perçu

Faible

Elevé

Enjeu d’apprentissage perçu

 

Elevé

Faible

Adversaires

Connus, habituels (coéquipiers)

Inconnus ou peu connus

Lieu (gymnase)

Connu et calme
(peu de spectateurs)

Inconnu ou peu connu (gymnase des adversaires)

Spectateurs Aucun ou très peu, connus, silencieux (parents des joueurs)

Plutôt nombreux, pas tous connus, et bruyants (parents, membres du club adverse)

  • HYPOTHÈSE :

Pour tenter d’expliquer la difficulté qu’éprouvent les joueurs à reproduire en match, ce qu’ils maîtrisent à l’entraînement, l’enjeu et les émotions conséquentes sont importantes à considérer. On peut notamment formuler l’hypothèse suivante : Plus le contexte va représenter une menace (cris venant des tribunes, du banc, défaite qui se dessine, appréhension des adversaires, etc…) pour le joueur (estime de soi et confiance en soi), et plus le joueur va chercher à se rassurer, en faisant ce qu’il a l’habitude de faire, ce qu’il sait faire. A l’inverse, plus le contexte le rassure (conseils de l’entraîneur, droit à l’erreur, encouragements des présents, etc…), plus il va s’accorder le droit de prendre des initiatives, d’explorer plusieurs solutions possibles, et plus il sera disponible pour mettre en œuvre des savoirs-faire en cours développement.

Cette hypothèse peut se vérifier au cours d’entretiens individuels avec les joueurs, ou de passation de questionnaires. Dans le cas où la gestion des émotions représente le blocage principal à ce transfert de compétences depuis l’entraînement vers le match, on peut s’interroger sur des solutions à mettre en œuvre pour les aider à mieux gérer leurs émotions.

  • PROTOCOLE PROPOSÉ :

Il peut être intéressant de mettre en place un protocole de “conditionnement” progressif dès l’échauffement. L’exemple ici développé concerne le gardien de but mais peut être transposé aux joueurs de champ.

1) Avant l’échauffement :
Demander au gardien de but quels sont les 2 points sur lesquels il doit faire prioritairement attention, en présence de l’autre gardien de but s’ils sont deux. Nous appellerons ces deux points, des « points de concentration ». Ils peuvent être décidés uniquement par le gardien de but selon ce qu’il travaille à l’entraînement, ou bien suggérés par l’entraîneur.

2) Pendant l’échauffement :
Dès le début de l’échauffement, le gardien de but commence à se focaliser tout particulièrement sur les deux points de concentration qu’il a déterminé avant le match, et il s’y tient pendant tout l’échauffement. L’entraîneur ou son binôme peut le lui rappeler très brièvement de temps en temps pour éviter qu’il oublie de le faire.

3) Juste avant le match :
L’entraîneur peut redemander quels sont les points de concentration, pour que le ou les gardiens maintiennent leur attention focalisée.

4) Pendant le match :
Les interventions de l’entraîneur et de l’autre gardien portent à 90% sur les points de concentration choisis avant le match. Si les remarques sont dispersées, le gardien de but cherchera de nouveau à faire attention à tout, et dans les faits, ne parviendra pas à tout contrôler comme il le souhaiterait.

5) Après le match :
Lors d’un débriefing, les gardiens de but et l’entraîneur discutent ensemble de la qualité de la prestation de chacun, au regard des points de concentration de chacun, et du degré de difficulté des duels qu’ils ont dû gérer. Par exemple, s’ils n’ont eu que des tirs en contre-attaque, ou aux 6m, il est important de leur faire comprendre que les situations de duels leur permettaient difficilement de travailler et/ou d’être en réussite si l’un de leurs points de concentration était d’être bien placé sur des tirs de loin.

 

  • CONCLUSION

 

L’objectif de ce protocole est, pour l’entraîneur, de centrer l’évaluation sur quelques points plutôt que de chercher à faire une évaluation complète, et de le faire comprendre au gardien de but. Celui-ci, en sachant qu’il est essentiellement évalué sur ce qui lui importe à ce moment de sa formation, parviendra petit à petit à filtrer ce qui est important et ce qui l’est moins à ses yeux et ceux de l’entraîneur, et donc à dédramatiser un peu certains résultats d’actions qui peuvent être estimées négatives dans un premier temps par lui-même ou l’entraîneur.

Ces points de concentration et les analyses des prestations peuvent notamment être inscrits dans un carnet de suivi, et constituer des objectifs d’apprentissage pour les séances d’entraînement suivantes.

Cette réflexion et ce protocole peuvent être considérés comme des pistes pour la formation du joueur à la pratique en contexte compétitif. Attention, j’insiste sur la notion de « formation » bien qu’il s’agisse d’un contexte compétitif. Actuellement, je pense que les jeunes sont « balancés » en match, et qu’on a, nous, les entraîneurs, comme principe qu’une fois en match, il n’ont plus qu’à dérouler ce qu’ils ont appris à l’entraînement. Or, l’entraînement ne permet pas de travailler sur la gestion des aspects mentaux. Seule la compétition le permet. Il est donc nécessaire de considérer les matchs comme des supports permettant d’apprendre ce que les exercices mis en place à l’entraînement ne permettent pas d’apprendre, sans leur attribuer l’unique fonction d’évaluer le Handball de l’entraînement.

Un article scientifique (Maloney, Renshaw, Headrick, Martin & Farrow, 2018), présente une étude réalisée en Taekwondo de haut-niveau sur le thème du transfert entraînement-compétition.
Objectif de l’étude : Comparer les comportements cognitifs et émotionnels ainsi que les actions techniques produites par 10 taekwondoistes, en situation de combat à l’entraînement et en situation de combat en compétition.
Recueil de données dans ces deux conditions : Recueils non-invasifs. Générations et synchronisations de données informatiques pour les actions réalisées, questionnaires à échelles de mesure pour évaluer l’anxiété perçue, le niveau d’éveil perçu et le coût mental perçu par l’athlète avant le combat, et entretiens d’auto-confrontations (visionner et commenter une prestation passée) réalisés après les sessions pour les données subjectives (verbalisations des sentiments, des infos et décisions prises, de leur cause, des difficultés vécues, etc…).
Analyse de données : tests statistiques (SPSS) et analyse de contenu (catégorisations de portions de discours).
Résultats : A partir des données quantitatives traitées, les chercheurs ont constaté que lors des combats organisés à l’entraînement, contrairement aux combats officiels, les athlètes attaquaient moins, qu’ils initiaient leurs attaques de plus loin, que leurs trajectoires étaient plus prédictibles, que leur distance de combat était plus grande, qu’ils étaient moins anxieux, moins alertes et que le coût psychologique que représentait le combat à réaliser était moindre. Les données qualitatives ont pu montrer que l’activité cognitive et émotionnelle des athlètes différaient dans les deux conditions. En situation d’entraînement, les athlètes ressentent moins de stress, moins de besoin d’être alerte, et moins de challenge personnel qu’en situation de match.
Perspectives d’applications pour la pratique : Créer des situations de combat à l’entraînement dans lesquelles la pression psychologique de l’athlète sera plus élevée et lui imposera de devoir être plus concentré, plus alerte, plus engagé dans le défi qu’il doit relever (augmenter les enjeux, proposer des adversaires inconnus, limiter les objectifs…).