Interview : Handball, la cage aux “fous” (janvier 1995)

Bruno Martini, gardien de l’équipe de France et de Istres: «La concentration gomme la peur.»

INTERVIEWS de Jean-Louis Le Touzet, publié sur le site internet de Libération.

QUATRE GARDIENS analysent leur rôle à part Handball: la cage aux «fous»

Souvent trompe la mort à mains nues, en pantalon de survêtement et maillot à manches longues, au hand, le gardien de but est un mur de chair. A quatre jours de la reprise du championnat de France après la trêve, quatre gardiens prennent la parole. Jean Férignac, 58 ans, père de «l’école française», aujourd’hui directeur de la communication à la Fédération; Philippe Médard, 36 ans, 180 sélections, médaille de bronze aux JO de Barcelone, gardien de l’ACBB (Boulogne-Billancourt); Christian Gaudin, 27 ans (74 sélections); et Bruno Martini, 24 ans (37 sélections), respectivement gardiens de Créteil et Istres et qui se relaient dans les buts de l’équipe de France.

– On dit que le handball est un sport de contact et que le gardien est le plus exposé. Peut-on jouer dans les buts avec la peur au ventre?

  • Philippe Médard. Le ballon ne m’a jamais effrayé. Le prendre dans la figure, ça m’est souvent arrivé… Surtout quand j’étais môme. A 9 ans, je sentais que j’étais fait pour occuper ce poste. Je n’ai jamais su dire pourquoi. C’était comme un déterminisme. Je comprends cependant ceux qui appréhendent la douleur. Il faut aussi en faire l’expérience. Mais plus on joue, moins elle est présente. Il y a quelques années j’ai pris un ballon en pleine figure, sur corner, qui m’a laissé KO.
  • Bruno Martini. La concentration gomme la peur physique comme la peur psychologique. Si un joueur a peur de la balle, ce n’est surtout pas dans les buts qu’il doit jouer. Quand on est hyperconcentré on oublie la sensation de douleur. Les joueurs de champs ne font pas exprès de balancer la balle là où ça fait mal: on ne gâche plus des occasions de buts, sous prétexte de faire mal et mettre le gardien en position de crainte pour la suite de la partie
  • Christian Gaudin. On m’a raconté que des joueurs visaient systématiquement la tête du gardien afin de la lui faire baisser sur les tirs suivants. Aujourd’hui, les tireurs sont très adroits. Les ballons nous frôlent, mais ne nous touchent plus. La peur? Oui, mais celle de mal faire, de passer au travers dans un match. Mais nous, on a le droit à l’erreur, on peut se rattraper sur le tir suivant, contrairement au gardien de foot. Les matchs de hand se terminent rarement sur un score nul…

Vous sentez-vous différent des joueurs de champ?

  • Philippe Médard. Etre le dernier défenseur, je n’ai jamais pensé qu’il s’agissait d’un particularisme. Je ne me suis jamais senti isolé, même quand l’action de jeu se passait quinze mètres plus haut et que je m’en sentais forcément exclu. Toute ma carrière j’ai noté les joueurs sur un petit carnet: leurs manies, leur façon de se préparer au tir. Je me suis souvent référé à mes notes avant un match. Les autres gardiens devraient s’en inspirer. Ça, c’est peut-être une manie de gardien de but. Je suis un joueur qui parle beaucoup à sa défense tout simplement parce que je lis mieux le jeu de ma défense.
  • Bruno Martini. Gardien, c’est un poste individuel qui demande un apprentisage empirique du placement. On a forcément un comportement égoïste, puisqu’on est seul dans notre zone. Nous les gardiens, on a le droit de toucher le ballon avec le pied, pas eux. C’est une différence essentielle dans le jeu. La prise de balle chez eux est primordiale, chez nous, il faut stopper le ballon. Du pied, du coude, de la tête, mais l’arrêter. Contrairement aux autres joueurs, j’ai beaucoup de mal à maîtriser mes émotions. Ça donne parfois des idées à l’adversaire…
  • Christian Gaudin. C’est assez étonnant cette démarche individualiste dans un sport collectif. Au-delà du paradoxe, c’est très difficile de jouer à ce poste, parce que les joueurs ont travaillé leur tonicité et les ballons sont de plus en difficile à stopper.

Jean Férignac est à l’origine d’une école francaise. De quelle école vous réclamez-vous?

  • Philippe Médard. Quand j’ai commencé, l’école française s’était déjà exportée en Europe de l’Est. Les Soviétiques formaient des gardiens. Les Yougoslaves aussi, mais à leur manière. Maintenant les Suédois font école. En France, on a toujours eu de bons gardiens, même si l’équipe de France n’a pas été toujours à la hauteur…
  • Bruno Martini. Aujourd’hui, je n’ai pas le sentiment qu’il y ait une école française, comme il y en a une yougoslave. C’est peut-être dommage pour l’apprentissage. On a, nous gardiens français, une manière empirique de se placer qui met en lumière des carences techniques. En revanche, c’est un avantage parce qu’on est moins repérable. Notre jeu n’est pas stéréotypé.
  • Jean Férignac. A la fin des années cinquante, j’ai été le premier gardien à stopper la balle avec la jambe. Avant, les gardiens plongeaient comme au foot. Les pays de l’Est, déjà grandes nations du hand, ont alors créé leurs propres écoles en s’inspirant de ce que j’avais amené dans le hand. Aujourd’hui dans le championnat de France, les Russes et des ex-Yougoslaves, font toujours partie des meilleurs. C’est la preuve que leur formation est bonne.
  • Christian Gaudin. J’ai piqué de ci, de là des astuces. Beaucoup aux Yougoslaves, un peu chez les Russes. C’est difficile de dévoiler ses placements sur des phases de jeu. C’est notre savoir-faire, nos petits trucs. On ne peut pas dévoiler nos secrets. Ça mettrait aussi à jour nos faiblesses. C’est à l’adversaire de lire clair dans le jeu et de trouver la faille.

Les gardiens ont-ils des modèles?

  • Philippe Médard. Je n’ai jamais pris de gardiens en modèle. J’ai été en revanche séduit par le jeu de certains. Mirko Basic, qui jouait il y a deux ans à l’OM-Vitrolles, est un excellent gardien. Penu, un Roumain, le fut en son temps. Il y a aussi Rico, le gardien de l’équipe d’Espagne. Et bien sûr Svenson, le Suédois qui joue à Irun.
  • Bruno Martini. Mirko Basic, avec qui j’ai joué à l’OM-Vitrolles, m’a bien fait progresser. Je pense aussi à Svenson. Et puis à Lavrov, le gardien russe d’Ivry.
  • Jean Férignac. J’ai enrichi mes connaissances au contact des gardiens des équipes de l’Est. C’est là que je me suis nourri. Plus que les modèles, c’est la conception du geste, de l’arrêt en lui-même qui me plaît.
  • Christian Gaudin. Au-delà de modèles, c’est la tonicité qu’on retrouve chez ces gardiens qui me séduit.

Jean-Louis Le Touzet

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