Le climat motivationnel

Cette série d’articles s’éloigne un petit peu de la thématique centrale du site qu’est le gardien de but de Handball, mais le contenu propose plusieurs outils intéressants pour l’encadrement, qu’il s’agisse d’un joueur ou d’une équipe. Il s’agit d’une présentation de plusieurs concepts scientifiques fondamentaux pour le management d’une équipe sportive, issus donc d’articles scientifiques, majoritairement rédigés en Anglais. J’insérerai les références ainsi que l’accès direct à l’article s’ils sont en libre accès sur Internet.

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Si on se mettait autour d’une table et qu’on marquait sur un tableau tout ce qui nous passe par la tête quand on entend le mot « leadership », on arriverait probablement à un résultat similaire à celui-ci, bourré de noms et de verbes qui partiraient dans tous les sens, et on pourrait discuter des heures et des heures avec grand intérêt des liens qu’il pourrait y avoir entre plusieurs de ces notions.

Cette série d’articles vise à articuler certains de ces termes, couramment employés dans le monde sportif, en s’appuyant sur des travaux scientifiques qui ont façonné les conceptions actuelles de l’intervention, du management, de la communication dans le domaine du sport. La présentation ici faite n’est absolument pas à prendre pour une vérité unique. Le but est simplement de faire un lien entre ce que nous pouvons rencontrer tous les jours, que ce soit dans notre club, au travail, voire même dans notre foyer, et de le caractériser précisément grâce à des cadres scientifiques, pour élargir notre réflexion sur plusieurs points.

Pour le troisième volet de cette série d’articles, nous abordons la notion de « climat motivationnel » qu’on peut aussi appeler « contexte motivationnel ». Tous les arguments et concepts présentés ont fait l’objet d’une synthèse de travaux scientifiques, présentée dans la Revue Française de Pédagogie en 2006 par P. Sarrazin, D. Teissier et D. Trouilloud.

Définition

Par climat/contexte, on entend l’environnement de la pratique (la configuration de la séance d’entraînement ou d’un exercice par exemple) mais aussi les dispositions psychologiques des individus qui pratiquent (les expériences vécues et mémorisées qui peuvent faciliter ou contraindre les performances).

Quand on construit une situation pour l’entraînement, on peut avoir des intentions différentes. On peut vouloir amener les pratiquants à s’améliorer, à s’évaluer, à se défier, à se comparer, à avoir plus ou moins d’autonomie, à découvrir certains aspects de leur pratique… mais les exercices qu’on va proposer aux joueurs n’auront pas la même forme. On peut utiliser plus ou moins de matériel, de consignes et d’objectifs par exemple.

Exemple : L’objectif de l’entraîneur est que ses joueurs apprennent à s’étager lors de leurs montées de balle.

Configuration 1 : On met des plots à des endroits précis sur les côtés du terrain et on donne un rôle à tenir pour chacun « Quand on récupère la balle, toi, tu cours là, toi tu cours là, et toi tu cours là ».

Configuration 2 : On établit plusieurs zones sur le terrain et on donne aux joueurs une liste de rôles à se répartir « Quand on récupère la balle, il faut qu’il y ait un seul joueur à courir dans chacune des zones du terrain. ».

Configuration 3 : On installe un défi entre les joueurs ou on les met en concurrence « L’équipe qui est la plus rapide à traverser le terrain et à tirer gagne » ou « Sur 9 traversées, vous êtes en compétition avec les défenseurs. Pour gagner, vous devez marquer ou intercepter au moins 5 ballons. »

Les effets sur la psychologie et sur la construction de compétences des joueurs vont être différents selon le choix de consignes et d’objectifs qui est fait.

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Configuration 1

Les joueurs exécutent. A moins qu’ils réfléchissent aux raisons de ces consignes, ils ne sauront pas pourquoi on leur dit d’aller à tel ou tel endroit quand ils se trouvent à tel ou tel poste défensif.

Pour réguler et atteindre l’objectif de travail, l’entraîneur peut leur expliquer avant ou après la première série pourquoi c’est intéressant que tel joueur fasse telle course.

Configuration 2

Les joueurs réfléchissent. Peut-être qu’il y aura des cafouillages au premier essai, mais ils vont communiquer pour s’organiser d’une manière qui leur semble plus appropriée ensuite.

Pour réguler et atteindre l’objectif de travail, l’entraîneur peut leur poser des questions pour les faire réfléchir sur la pertinence d’attribuer telle course à tel joueur placé à tel poste défensif.

Configuration 3

Les joueurs veulent gagner et s’engagent dans l’exercice à 100%, ou bien veulent passer inaperçus et adoptent des stratégies pour éviter d’être impliqué dans la montée de balle (en retard dans la course, se placer proche d’un défenseur par exemple). Certains progressent, d’autres régressent.

Pour réguler et atteindre l’objectif de travail fixé, l’entraîneur peut par exemple équilibrer les groupes, décider du poste défensif de chacun au départ, ajouter des consignes ou contraintes…

 

Selon Ames (1992a & 1992b) citée dans la revue de littérature effectuée par P. Sarrazin, D. Tessier et D. Trouilloud, « l’entraîneur instaure un climat de maîtrise quand ses interventions sont principalement orientées vers l’apprentissage, les progrès personnels et la valorisation du travail et des efforts. Par contraste, il installe un climat de compétition quand la comparaison sociale, la compétition interpersonnelle, et le résultat final sont valorisés. »

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Différences entre le climat de maîtrise et le climat de compétition :

Plus particulièrement, ces climats se distinguent sur plusieurs aspects, qui peuvent être regroupés sous l’acronyme TARGET, proposé par J. L. Epstein en 1988.

 

Climat de maîtrise

Climat de compétition

Tâche (exercice)

Les joueurs ont la possibilité de choisir entre différents exercices en fonction de leur niveau d’habileté.

Tous les joueurs pratiquent le même exercice.

Autorité

(décisions)

Les joueurs peuvent choisir ce sur quoi ils vont s’investir ou ont la possibilité de prendre des initiatives dans le processus d’apprentissage.

L’entraîneur prend toutes les décisions concernant ce qu’il y a à apprendre et l’installation du matériel.

Reconnaissance

(remarques)

L’entraîneur reconnaît et encourage les efforts et les progrès réalisés et il considère que les erreurs permettent de développer les apprentissages.

Les encouragements sont destinés à valoriser les meilleures performances.

Groupements

(organisation des joueurs)

Les formes de groupement sont flexibles et hétérogènes (exercices individualisés, groupes de besoin, groupes hétérogènes valorisant la coopération).

Des groupes de niveau sont explicitement organisés.

Evaluation

L’évaluation concerne les progrès réalisés, la participation, les efforts et l’investissement en entraînement, et les remarques sont adressées en tête-à-tête.

L’évaluation revêt un caractère public et se fonde sur des standards sociaux de performance tel que le classement au championnat, une hiérarchie titulaires/remplaçants…

Temps

(durée des exercices)

La gestion du temps d’apprentissage est flexible et permet aux joueurs de travailler à leur rythme.

Le temps imparti pour réaliser les exercices est défini par l’entraîneur et ne tient généralement pas compte des différences dans le rythme d’apprentissage des joueurs.

Critères adaptés au domaine de l’entraînement sportif, d’après les travaux d’Ames en EPS.

Si on reprend les 3 configurations d’exercice présentées plus haut, qui visent l’apprentissage de l’étagement de la montée de balle, on peut donc considérer que la configuration 2 est un climat de maîtrise, que la configuration 3 est un climat de compétition. La configuration 1 peut être qualifiée de “climat d’exécution” si les remarques de l’entraîneur ne portent que sur le respect des consignes, ou de climat de maîtrise si l’entraîneur apporte des éléments de compréhension aux joueurs. Cependant, l’existence d’un climat dit d’exécution n’est a priori pas encore scientifiquement mise en évidence.

Configuration 1

Les joueurs exécutent. A moins qu’ils réfléchissent aux raisons de ces consignes, ils ne sauront pas pourquoi on leur dit d’aller à tel ou tel endroit quand ils se trouvent à tel ou tel poste défensif.

Climat d’exécution (ou de maîtrise).

Configuration 2

Les joueurs réfléchissent. Peut-être qu’il y aura des cafouillages au premier essai, mais ils vont communiquer pour s’organiser d’une manière qui leur semble plus appropriée ensuite.

Climat de maîtrise.

Configuration 3

Les joueurs veulent gagner et s’engagent dans l’exercice à 100%, ou bien veulent passer inaperçus et adoptent des stratégies pour éviter d’être impliqué dans la montée de balle (en retard dans la course, se placer proche d’un défenseur par exemple). Certains progressent, d’autres régressent.

Climat de compétition.

 

Et la motivation des joueurs alors ?

Chaque joueur va avoir une préférence pour un type de climat plutôt qu’un autre, et cela en fonction de la façon dont il se perçoit et dont il pense que l’entourage le perçoit. Selon les expériences qu’il a vécues et qui ont été bonnes ou mauvaises pour lui, tant dans le domaine sportif que scolaire, familial ou social par exemple, il peut avoir plus ou moins confiance en lui, et plus ou moins apprécier se mettre en avant ou se comparer aux autres. Il y a donc de nombreuses hypothèses qu’on peut formuler quant aux liens possibles entre l’estime et la confiance en soi, le style de leadership de l’entraîneur, l’engagement dans l’activité, et le climat motivationnel installé par l’entraîneur en entraînement.

 

Le prochain article de la série Coach & Leadership portera sur ce que les joueurs attendent de leurs entraînements (leurs motivations et leurs sources).

 

Références :

AMES C. (1992a). « Achievement goals and the classroom climate ». In D. H. Schunk & J. L. Meece (éd.), Student Perceptions in the Classroom. Hillsdale : L. Erlbaum, p. 327-308.

AMES C. (1992b). « Classrooms : Goals, structures, and student motivation ». Journal of Educational Psychology, vol. 84, p. 261-271.

EPSTEIN J. L. (1988). « Effective schools or effective students : Dealing with diversity ». In R. Haskins & D. MacRae (éd.), Policies for America’s public schools : Teacher equity indicators. Norwood : Ablex, p. 89-126.

Sarrazin, P., Tessier, D., & Trouilloud, D. (2006). Climat motivationnel instauré par l’enseignant et implication des élèves en classe: l’état des recherches. Revue française de pédagogie. Recherches en éducation, (157), 147-177.

 

Pour aller plus loin :

Une étude sur les effets des climats motivationnels, de l’estime de soi, et des buts motivationnels sur le temps d’engagement moteur en EPS. (mémoire de Master 1 à me demander par mail à handball-gk@hotmail.fr).