“Potentiel” et “détection” du gardien de but de Handball

Lors des détections des gardiens de but, on observe leur morphologie, leurs capacités physiologiques, et leurs qualités mentales. S’ils sont plus grands que la moyenne, qu’ils ont de bonnes capacités motrices et qu’ils font preuve de combativité, ils sont aussitôt catalogués comme « gardiens à potentiel ». C’est notamment ce qu’indique Eric Baradat à propos de la filière féminine (Approches du Handball, n°155). Un élément très important passe à la trappe du fait de son invisibilité : le potentiel cognitif.

1) Définition
Tel que je le considère, le « potentiel cognitif » renvoie à la capacité qu’a le gardien de but à prendre des informations et à les utiliser de manière pertinente pour prendre des décisions. Plus précisément, il s’agit de ses facultés à reconnaître des situations et à prédire leur évolution en estimant le niveau de danger qu’elles représentent pour lui, ainsi qu’à identifier des difficultés potentielles et à envisager des solutions dans différentes phases de jeu.

2) Difficultés pour le détecter
Comme Jacky Bertholet (CTN) le rappelle dans le n°151 des Approches du Handball, la définition traditionnelle du terme « détecter » ne concerne que ce qui est observable, existant. Je parlerai donc plutôt d’estimation du potentiel cognitif que de détection car les facultés mentales sont très difficilement identifiables avec objectivité. Effectivement, on ne peut qu’émettre des hypothèses sur les intentions du gardien de but en les associant à un comportement moteur qu’il adopte. Cette association hypothétique n’est pas facile à effectuer. Plus l’observateur est expérimenté dans l’analyse de l’activité du gardien de but et des duels tireur-gardien et gardien-tireur, plus il sera apte à cerner les possibles intentions du gardien observé. Malheureusement, ce n’est pas le cas de la majorité des entraîneurs, et cela témoigne d’un manque qui est à combler dans leur formation.

3) Un manque dans la formation des cadres
Dans une interview donnée pour l’émission Chercheurs d’Or de Canal+1, Laura Glauser, gardienne de l’équipe de France A, avance elle-même « J’ai progressé par rapport à l’année dernière par rapport à la lecture du jeu. On m’a appris à lire le jeu parce qu’avant c’était un peu à sauter un peu partout dans le but. On m’a appris à lire la course des filles, comment elles tiraient, quand une fait ça que c’est pas possible qu’elle tire autrement, des choses comme ça. Avant c’était instinctif, j’allais au dernier moment là où la balle était, comme un vrai zébulon. Maintenant c’est plus précis, plus réfléchi, je sais ce que je fais, je sais que si elle fait comme ça, ça peut être comme ça ensuite.. Vous avez tellement de petits détails qui font qu’elle ne peut tirer que là, tellement de petits trucs à regarder que ça vous donne énormément de renseignements par rapport au tir. ». Ses propos révèlent qu’elle a pris conscience de l’intérêt de savoir lire les comportements des tireuses adverses pour être plus performante, mais que cette prise de conscience semble être tardive puisque son apprentissage est très récent. On peut se demander pourquoi il n’a pas été amorcé plus tôt dans sa formation. Lorsqu’on regarde le contenu des modules de formations que suivent les entraîneurs, et qui sont spécifiques au poste de gardien de but, on observe que ce sont essentiellement des savoirs-faire techniques qui sont abordés. A ce sujet, Wojciech Nowinski (ancien gardien de l’équipe nationale de Pologne) lève la question de la priorisation des apprentissages pendant la formation et milite pour que la priorité soit accordée à la tactique individuelle : « Qu’est ce qui est le plus important ? Un gardien qui est bon techniquement et qui prend des buts ? Ou un gardien qui techniquement est très moyen mais qui ne prend pas beaucoup de buts ? » (Approches du Handball, n°109). Aussi, on peut par conséquent penser que l’apprentissage de la lecture du jeu n’est pas suffisamment estimé par les entraîneurs pour être mis en avant à l’entraînement.

4) Quelques illustrations et pistes pour former et « détecter »
Un jeune gardien de but souhaitant intégrer une structure de formation telle qu’un pôle espoir devrait, au minimum, être capable d’identifier le niveau de danger d’une situation à l’instant t et à l’instant t+1 (une passe ou action de jeu plus tard), voire à l’instant t+2 (2 passes ou actions de jeu plus tard).

Voici quelques situations de jeu qui permettent d’estimer le potentiel cognitif d’un gardien de but lors d’une session de détection. La 2ème colonne présente des comportements moteurs visibles, qui peuvent être associés aux intentions présentées en 3ème colonne. Les entraîneurs chargés de détections peuvent donc s’appuyer dessus pour estimer un peu plus précisément le potentiel cognitif des gardiens qu’ils observent.

Situations de jeu

Activités cognitives et motrices du gardien de but

Que fait-il ? (comportements)

Dans quel(s) but(s) ? (intentions)

Montée de balle de l’adversaire

Il sort de sa zone et se place sur le terrain de sorte à pouvoir intercepter un ballon sur une relance longue du gardien adverse.

Dissuader la relance directe, permettre à ses défenseurs de se replacer en défense.

Il jette des regards en direction des partenaires du porteur de balle, localise le danger, et l’indique verbalement ou gestuellement à ses partenaires.

Identifier le plus tôt possible qui pourrait être le tireur de cette montée de balle.

Circulation de balle en attaque placée.

Il jette des regards en direction des partenaires du porteur de balle pendant la circulation de balle et peut communiquer oralement des indications à ses défenseurs si l’un d’eux se montre dangereux ou peut l’être.

Identifier si le tireur potentiel de l’action sera le porteur de balle actuel ou un non porteur de balle (selon la densité défensive autour du porteur de balle).

Il se déplace quand le porteur lâche la balle, et est placé avant que le futur porteur de balle la réceptionne.

Se placer en fonction du futur porteur de balle, pendant la trajectoire de passe du ballon.

Duel avec le tireur

Il se déplace et se place avec la position du bras du tireur et le ballon comme points de repères.

Limiter l’accès à un maximum d’espace du but (= réagir).

Il déclenche sa parade avant que le ballon quitte la main du tireur et avant que le tireur puisse changer d’impact.

Identifier l’impact probable à partir des comportements moteurs du tireur (direction de la course, de l’impulsion, du bras…) (= anticiper).

Il laisse volontairement ouvert un espace du but et le referme lorsque la balle quitte la main du tireur.

Provoquer un tir à un impact précis (= provoquer).

Remise en jeu (après but ou un arrêt)

Il se dépêche de prendre le ballon dans le but après un arrêt.

Il capte les ballons ou les rabat devant lui.

Il cherche des partenaires démarqués tout en ramassant le ballon.

Il transmet dans la course et l’espace avant de son partenaire pour le mettre en position favorable de passe ou de tir.

Remettre en jeu rapidement pour jouer le surnombre.

3) Intercomités et « joueuse polyvalente »
Les règlements contraignent parfois une équipe à présenter 2 gardien(ne)s différent(e)s sur l’ensemble du match. La saison 2016-2017 en Intercomités impose à chaque sélection d’avoir une joueuse dite « polyvalente », que l’on voit à l’oeuvre tant sur le terrain que dans les buts. Dans les deux cas, certains entraîneurs, gardien(ne)s de but voire parents affichent leur mécontentement à l’égard de ce type d’initiatives. Ils avancent que cela réduit le temps de jeu et le cumul d’expériences des gardien(ne)s de but qui veulent définitivement évoluer à ce poste, ou bien que cela peut nuire aux performances de l’équipe par exemple. Cependant, bien que le jeune joueur participe régulièrement à des compétitions, il est avant tout en formation, et c’est un fait qu’on ne doit pas perdre de vue. Puisque la formation n’est pas uniquement motrice, ces récentes règles méritent d’être perçues comme une occasion en or pour aider les gardien(ne)s de but à développer leurs compétences, à la fois motrices et cognitives. En évoluant sur le terrain, le gardien de but vivra les situations plus ou moins difficiles que les joueurs de champ peuvent rencontrer pour accéder au but. En connaissant les difficultés du duel tireur-gardien, son bagage pour les duels gardien-tireur s’étoffera. Il est aussi très important que les clubs expérimentent ce dispositif avant la détection pour les sélections départementales (surtout valable pour la filière féminine) ou pôles espoirs afin que les potentiels moteur et cognitif des gardiens de but puissent tous deux être plus facilement estimés au moment de la première détection.

4) Vers une précision du terme « potentiel »
Le « potentiel » d’un joueur repose sur toutes les ressources qu’il peut mobiliser. Les ressources que l’on cherche à développer à l’entraînement sont biomécaniques (motricité), physiologiques (endurance, puissance, etc..), émotionnelles (combativité), informationnelles et décisionnelles (intelligence de jeu). Cependant, la détection est prioritairement orientée sur la morphologie du joueur, sur sa motricité, ses qualités physiologiques, et sa combativité. Son sens du jeu est apprécié, mais dans une moindre mesure, et c’est encore plus vrai pour la détection des gardiens de but. Or, le gardien expert, en plus d’avoir des qualités physiques indéniables, est celui qui sait le mieux s’adapter aux situations auxquelles il est confronté. Aussi, il est indispensable de faire évoluer leurs ressources informationnelles et décisionnelles. Les récentes règles qui s’appliquent aux Intercomités féminins et qui conduisent une gardienne de but à évoluer sur le terrain peuvent être considérées comme un véritable tremplin pour faciliter implicitement ces apprentissages.

PDF de l’article publié : MLM_AHB_159

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