Faut-il être grand pour être performant ? Cet article est une ébauche de réflexion basée sur des statistiques. Les conclusions encouragent la détection et la formation des gardiens de but de handball sur des critères physiques et cognitifs plutôt qu’exclusivement physiques.
Les informations disponibles sur le site officiel de la Ligue Nationale de Handball indiquent que la taille moyenne des gardiens de but qui joueront en Lidl StarLigue lors de la saison 2016-2017 est 192cm. Le plus grand mesure 200cm (Miroslav Kocic, Saran HB), et le plus petit 181cm (Rémi Gervelas, US Ivry). Le schéma ci-dessous présente la répartition des 38 profils complétés sur le site de la LNH.
Nous nous sommes particulièrement intéressés aux performances réalisées par les gardiens de but mesurant 189cm et moins, au cours de la saison 2015-2016. Parmi les 8 gardiens concernés, nous avons sélectionné ceux qui étaient en LNH lors de cette saison, et qui avaient joué le plus de matchs (26 matchs chacun sur l’ensemble de la saison). De fait, nous nous sommes focalisés sur les performances réalisées par 4 gardiens de but de LNH mesurant entre 181cm et 189cm : V. Gervelas, R. Desbonnet, Y. Genty et V. Gérard.
Les statistiques relatives à leurs performances sur la saison 2015-2016 sont également disponibles sur le site officiel de la LNH. Elles indiquent que sur 26 gardiens de but, 2 de nos 4 « petits gardiens » sont présents dans le TOP5 « Pourcentage de réussite arrêts/tirs ».
Taille |
Club en 2015-2016 |
Nombre d’arrêts |
% |
Classement |
|
V. Gervelas |
181cm |
Ivry |
127 / 448 |
28,3% |
22 |
R. Desbonnet |
185cm |
Nîmes |
175 / 521 |
33,6% |
5 |
Y. Genty |
188cm |
Chambéry |
282 / 863 |
32,7% |
14 |
V. Gérard |
189cm |
Montpellier |
268 / 766 |
35,0% |
4 |
Alors que le système actuel de détection et de formation de l’élite tend à privilégier les gardiens de but à grands gabarits depuis de longues années, ces statistiques nous montrent qu’un gardien de but performant n’est pas obligatoirement grand. Aussi, nous nous sommes questionnés sur les qualités que les « petits » gardiens possèdent pour atteindre des performances égales à celles des plus grands.
Frédéric Pérez, ancien gardien de but de l’équipe de France et ancien entraîneur des gardiennes de l’équipe de France, avance que « l‘athlétisation est fondamentale, mais rien ne remplace l’intelligence, la lecture du jeu. ». Il précise notamment son propos en prenant Rémi Desbonnet comme exemple « Avec sa petite taille, Rémi ne réussira qu’en étant dynamique, rapide, piégeur… » (source). Le concerné appuie ses dires en insistant sur la nécessité de compenser les difficultés par d’autres qualités. : “On a intérêt de se trouver des points forts là où on peut être meilleur que les autres. Sur la vitesse, l’envie, tout ce qu’on peut apporter à un groupe” (source).
Du côté du handball féminin, Silvia Navarro, la gardienne de l’équipe d’Espagne est un très bel exemple de réussite à haut-niveau. Du haut de ses 169cm (contre 180cm en moyenne en Europe), elle s’impose comme titulaire dans son équipe depuis quelques années, et compte à son palmarès deux médailles de bronze (Jeux olympiques de Londres 2012 et championnat du monde 2011 au Brésil) et une d’argent au championnat d’Europe 2015 en Croatie-Hongrie. Ses récentes performances au Jeux Olympiques de Rio 2016 la placent à la 3ème place des meilleures gardiennes du tournoi avec une moyenne de 38% d’arrêts par match (source). Pour expliquer ses bons résultats, elle indique qu’elle effectue un grand travail de renforcement des muscles des membres inférieurs pour gagner en dynamisme et en rapidité dans l’exécution de ses déplacements et parades (source).
En termes de formation du gardien de but, les bribes d’entretiens que nous avons trouvées convergent vers l’idée qu’un petit gardien doit accorder beaucoup de temps au développement de ses ressources physiques (dynamisme) et mettre en avant ses qualités cognitives (lecture du jeu) pour obtenir des performances égales à celles d’un grand gardien.
Depuis longtemps en France, la détection des gardiens de but se limite à la sélection des plus grands gabarits et la formation concerne essentiellement le développement des qualités techniques et physiques estimées nécessaires pour faire des arrêts. Un certain retard a été pris sur la formation à la prise d’informations, permettant au gardien de but d’analyser et comprendre les situations qu’il vit, et de prendre des décisions cohérentes (quel arrêt peut-on faire dans telle ou telle circonstance?).
Par conséquent, afin de mettre toutes les chances du côté des gardiens de but de petite taille, qui souhaitent véhément jouer à haut-niveau, il est nécessaire de combler l’écart existant entre le niveau physique/technique et le niveau cognitif en accentuant la formation à la lecture du jeu et à la prise de décision. Le contenu des articles portant sur la formation des gardiens de but dans la revue fédérale Approches du Handball depuis 2 ans témoigne de l’évolution en ce sens de la conception de la formation.
Prenons un exemple : Un gardien de but de petite taille est habitué à attendre que le ballon quitte la main du tireur pour déclencher sa parade. Si le tir est en lucarne, cela implique que la durée de sa prise d’information (identification de l’impact) et de sa décision (pousser sur la jambe) soit inférieure à la durée de la trajectoire du ballon. Si le gardien apprend à identifier des comportements du tireur pour avoir des indices quant à l’impact de son tir avant que le ballon ne quitte sa main, alors son temps de prise d’information et de décision sera réduit, ce qui lui permettra de compenser la rapidité du ballon sur sa trajectoire.
Cet article a pour but de faire réfléchir les entraîneurs quant aux systèmes de formation et de détection qui favorisent actuellement les critères physiques. Ces critères (taille, envergure) sont certes importants à considérer, mais il ne semblent pas être légitimement exclusifs. Voir, aujourd’hui, de « petits » gardiens de but jouer à haut-niveau et obtenir des performances similaires à celles de gardiens de grande taille devrait encourager les entraîneurs à considérer davantage cette part de la population des gardiens qui est actuellement trop dénigrée.
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Par curiosité, nous avons comparé les tailles et performances des gardiennes de but qui ont évolué en LFH en 2015-2016, dont le profil était complété sur le site officiel de la LFH. Les écarts sont moindres, et la moyenne fixée à 178cm. Les analyses statistiques faites pour les GB de LFH sont moins précises que celles faites pour les GB de LNH car les statistiques mises à dispositions sur le site de la LNH sont plus détaillées que celles publiées par le site de la LFH. De fait, les résultats et analyses proposées sont plus approximatives que pour la première partie de l’enquête (cad LNH).
Nous avons comparé les performances de 4 gardiennes, sur la base de 16 match joués par chacune. Les deux “petites” gardiennes mesuraient 172cm (M. Colic, Nimes et C. Gabriel, Besançon), et les deux “grandes” mesuraient 184cm et 183cm (respectivement, M. Garba, Issy Paris et M. Muñoz, Besançon). 11 gardiennes sur les 25 du championnat ont joué au cours de 16 matchs (attention, nous ne connaissons pas la durée de jeu de chacune). Le classement établi correspond à ce “Top 11” et prend en compte le nombre d’arrêts effectués sur le nombre de tirs reçus.
Taille |
Club en 2015-2016 |
Nombre d’arrêts |
% |
Classement |
|
M. Colic |
172cm |
Nîmes |
119/346 |
34% |
4ème (2 GB égalité) |
C. Gabriel |
172cm |
Besançon |
95/255 |
37% |
1ère (2 GB égalité) |
M. Muñoz |
183cm |
Besançon |
125/383 |
33% |
5ème |
M. Garba |
184cm |
Issy Paris |
50/187 |
27% |
8ème (2 GB égalité) |
Nous ne tirerons aucune conclusion car les données initiales (tailles, nombre d’arrêts et de tirs) et notre échantillon ne nous permettent pas une analyse précise. Nous pouvons penser que C. Gabriel est aussi performante que l’autre gardienne avec qui elle partage la première place du Top11 (L. Glauser, 178cm, 147 arrêts sur 398 tirs) mais le nombre de duels est nettement inférieur à celui de Glauser. Il faudrait comparer leurs performances sur un nombre de duels plus similaires. Il en va de même pour les performances de Garba, qui n’a eu “que” 187 duels à gérer contrairement à Colic et Muñoz qui avoisinent les 350 duels.